Si? Traduction de Germaine Bernard-Cherchevsky (1942) Si tu restes ton maître alors qu'autour de toi Nul n'est resté le sien, et que chacun t'accuse ; Si tu peux te fier à toi quand tous en doutent, En faisant cependant sa part juste à leur doute ; Si tu sais patienter sans lasser ta patience, Si, sachant qu'on te ment, tu sais ne pas mentir ; Ou, sachant qu'on te hait, tu sais ne pas haïr, Sans avoir l'air trop bon ou paraître trop sage ; Si tu aimes rêver sans t'asservir au rêve ; Si, aimant la pensée, tu n'en fais pas ton but, Si tu peux affronter, et triomphe, et désastre, Et traiter en égaux ces deux traîtres égaux ; Si tu peux endurer de voir la vérité Que tu as proclamée, masquée et déformée Par les plus bas valets en pièges pour les sots, Si voyant s'écrouler l'?uvre qui fut ta vie, Tu peux la rebâtir de tes outils usés ; Si tu peux rassembler tout ce que tu conquis Mettre ce tout en jeu sur un seul coup de dés, Perdre et recommencer du point d'où tu partis Sans jamais dire un mot de ce qui fut perdu ; Si tu peux obliger ton c?ur, tes nerfs, ta moelle À te servir encore quand ils ont cessé d'être, Si tu restes debout quand tout s'écroule en toi Sauf une volonté qui sait survivre à tout ; Si t'adressant aux foules tu gardes ta vertu ; Si, fréquentant les Rois, tu sais rester toi-même, Si ton plus cher ami, si ton pire ennemi Sont tous deux impuissants à te blesser au c?ur, Si tout homme avec toi compte sans trop compter ; Si tu sais mettre en la minute inexorable Exactement pesées les soixante secondes Alors la tienne est tienne et tout ce qu'elle porte Et mieux encore tu seras un homme mon fils ! | Si? Traduction de Hervé-Thierry Sirvent (2003) Si tu peux rester calme alors que tous tes proches Semblent perdre la tête et vouloir t'en blâmer, Si tu peux croire en toi face à tous leurs reproches Mais comprendre leur doute et toujours les aimer ; Si tu peux espérer sans te lasser d'attendre, Si tu ne sais mentir à ceux qui t'ont menti, Si celui qui te hait, tu ne peux le lui rendre, - Mais sans parler en Sage, ou sembler trop gentil ; Si tu rêves - mais sans que ton rêve t'envoûte, Si tu penses - mais non vers d'abstraites hauteurs, Et si tu sais passer de Triomphe en Déroute Sans te laisser berner par ces deux imposteurs ; Si tu peux supporter qu'un vil faquin dévie Le sens de tes propos pour abuser les sots, Ou voir briser ton ?uvre et, penché sur ta vie, Avec de vieux outils assembler les morceaux ; Si tu peux risquer tous tes gains à pile ou face, Simple lot au hasard d'un seul coup suspendu, Tout perdre, et repartir de tes débuts, sans place En toi pour un soupir sur ton pari perdu ; Si tu forces ton c?ur, tes nerfs, tes tendons, même Quand las de t'obéir ils s'en sont détournés, Et si ta Volonté, résistance suprême À ton vide total, leur dit toujours : « Tenez ! » Si tu sais rester noble en parlant à la foule, Si tu sais rester simple en côtoyant les rois, Si pas plus que l'ami l'ennemi ne te foule, Si tout homme t'est cher mais nul n'a trop de poids ; Et si tu peux remplir la minute exigeante De secondes valant la course que tu fis, La Terre t'appartient et - leçon plus grisante : - Tu seras un Homme, mon fils ! |
Une traduction de Paul Eluard (Eugène Grindel),1895-1952, SI... Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir, Ou perdre d’un seul coup le gain de cent parties Sans un geste et sans un soupir ; Si tu peux être amant sans être fou d’amour, Si tu peux être fort sans cesser d’être tendre Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour, Pourtant lutter et te défendre ; Si tu peux supporter d’entendre tes paroles Travesties par des gueux pour exciter des sots, Et d’entendre mentir sur toi leurs bouches folles Sans mentir toi-même d’un mot ; Si tu peux rester digne en étant populaire, Si tu peux rester peuple en conseillant les rois, Et si tu peux aimer tous tes amis en frère, Sans qu’aucun d’eux soit tout pour toi ; Si tu sais méditer, observer et connaître, Sans jamais devenir sceptique ou destructeur ; Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître, Penser sans n’être qu’un penseur ; Si tu peux être dur sans jamais être en rage, Si tu peux être brave et jamais imprudent, Si tu sais être bon, si tu sais être sage, Sans être moral ni pédant ; Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite Et recevoir ces deux menteurs d’un même front, Si tu peux conserver ton courage et ta tête Quand tous les autres la perdront, Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire Seront à tout jamais tes esclaves soumis, Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire, Tu seras un homme, mon fils. Rudyard KIPLING | Si… Traduction de Jean-François Bedel (2006) Si tu gardes ta tête quand la folie des autres, S'acharne contre toi et te couvre de fautes Si tu restes confiant, lorsqu'on doute de toi, Et te veux tolérant, car l'opprobre est sans foi… Si l'attente chez toi n'engendre aucun soupir Que jamais médisances ne t'entraînent à mentir, Ni qu'être détesté ne te force à haïr, Sans de la perfection vouloir être l'image, Ni d'aimer pérorer en imitant les sages… Si tu gardes tes rêves sans n'être qu'un rêveur, Évitant que penser devienne un but en soi… Si tu peux accueillir l'Échec ou le Succès, En faisant part égale à ces deux impostures Si tu peux supporter que ta parole vraie, Changée par des fripons serve aux sots de pâture, Si l'œuvre de ta vie s'écroulant devant toi, Tu ramasses aussitôt les morceaux sans rancœur, Saisis tes vieux outils, et reprends le labeur… Si tu peux mettre en jeu tout ce qui t'appartient, Et en risquer l'enjeu d'un coup de pile ou face, En ayant tout perdu, pourtant garder la face, Repartir à zéro, sans un mot, ni chagrin ; Si tu mets ton pouvoir, ton audace et ton cœur, À servir ta cause, jusqu'à la dernière heure, Ne pas abandonner quand plus rien ne subsiste, En toi, que ce Vouloir, cette voix qui insiste, Et qui te crie : « Tiens-bon ! gardes Force et Vigueur ! » Si parlant à la foule, tu gardes ta droiture, Accompagne les rois en sachant d'où tu viens, D'amis ou d'ennemis, redoutes point l'injure… Si, plus qu'un seul être, pour toi compte l'humain, Et si face à ce temps à la fuite implacable, Tu fais à chaque instant ce dont tu es capable, Permettant que toujours tes travaux s'accomplissent, Avec tout ce qu'il offre, ce Monde sera Tien… Et, bien plus encore, tu seras un Homme, mon fils ! |